Enfin, presque

Derrière l’hécatombe de personnalités qu’on peut observer depuis le début du mois, ce constat : le pic de mortalité enregistré quasi-systématiquement le premier mois de l’année n’est pas seulement imputable aux températures hivernales. David Bowie, Michel Delpech, Pierre Boulez, Michel Galabru… On ne compte plus les nécrologies parues un peu partout ces deux dernières semaines, y compris dans Libération (ici, là ou encore là). Cette hécatombe, qualifiée de «série noire» par certains, a même donné lieu à la création d’une page Facebook «Je survivrai à 2016». Le phénomène passe plutôt inaperçu habituellement, mais au-delà du monde de la musique ou du cinéma, le mois de janvier est quasi-systématiquement le mois le plus meurtrier de l’année en France métropolitaine. La tendance se vérifie aussi à l’échelle de l’Europe, comme le montrent les chiffres d’Eurostat. En 2015 (année pour laquelle les résultats sont encore provisoires, mais fiables), le nombre de décès enregistrés en métropole en janvier était de 18% supérieur à la moyenne de l’année, selon l’Insee : 57 400 décès, contre 43 600 pour les mois de juin ou septembre, les moins meurtriers de l’année. Même constat pour 2014, oùl’on enregistrait un «surplus de mortalité» de 10% en janvier par rapport aux onze mois suivants. Comme le montrait Le Monde l’année dernière, le mois de janvier s’est placé 25 fois en tête des mois enregistrant le plus de décès ces quarante dernières années. Et quand le premier mois de l’année n’est pas le plus meurtrier, comme cela a été le cas en 2012, il est devancé de peu par un autre mois d’hiver. Depuis 1975, les mois les plus meurtriers sont ainsi systématiquement situés dans la période allant de décembre à mars, à l’exception de la canicule de l’été 2003. La surmortalité est de 9 % en moyenne pendant cette saison par rapport au reste de l’année. Comment expliquer ce «surplus de mortalité» hivernal, qui connaît un pic au mois de janvier ? C’est là que ça se corse? Il n’existe aucune statistique sur la nature de ces décès. Le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc) de l’Inserm, qui analyse les causes de mortalité en France, ne publie pas de statistiques détaillées mois par mois, et le ministère de la Santé ne s’est jamais penché sur le sujet. On ne sait donc pas si cette surmortalité est imputable à une hausse des suicides, des morts naturelles ou encore des accidents de voiture. L’explication la plus intuitive revient à accuser les températures hivernales et leurs conséquences en termes de santé, notamment sur les personnes âgées. Pour expliquer le pic de mortalité de janvier 2009 (58 938 décès, soit 30% de plus que la moyenne annuelle), l’Institut de veille sanitaire (InVS) avait ainsi évoqué «la survenue concomitante de plusieurs facteurs», à savoir une période de froid intense, une épidémie grippale sévère et les infections respiratoires qui en découlent chez les personnes âgées, en précisant toutefois qu’il n’était pas «possible d’évaluer leur part respective dans cette augmentation». La grippe est responsable de 18 300 décès supplémentaires début 2015, une surmortalité record, concernant à 90% des sujets de plus de 65 ans, toujours selon l’InVS. Dans son dernier bilan démographique, l’Insee évoque également les «conditions climatiques et épidémiologiques de l’année», comprendre la météo et la grippe, pour expliquer la surmortalité hivernale. Il y a une corrélation, mais «il ne faut pas en déduire un lien de cause à effet», insiste l’Institut, contacté par Libération. De manière générale, l’hiver est une saison particulièrement fragilisante pour les personnes âgées. «Des températures plus basses favorisent le confinement, les grands-parents sont en contact avec des enfants, on a tendance à surchauffer les appartements et les personnes âgées peuvent se déshydrater», explique à Libération Céline Caserio-Schönemann, de l’Institut de veille sanitaire. Mais l’explication n’est pas plus valable pour janvier que pour décembre ou février. Certains chercheurs évoquent d’autres explications. Si l’on en croit une étude américaine parue en 2010, la surmortalité du début d’année ne serait pas seulement imputable au niveau du mercure. Selon le chercheur américain David Phillips, qui a analysé 57 millions de certificats de décès émis entre 1979 et 2004, les décès survenus le 1er janvier, jour le plus meurtrier outre-Atlantique, sont principalement dus à des «causes naturelles», notamment des infarctus, un phénomène également observé par une étude de 2004. Le surplus de mortalité est d’ailleurs aussi important dans les Etats du sud du pays, où l’hiver est plus doux, note le chercheur. La BBC, qui s’était penchée sur le sujet en 2014, soulevait également que les pays scandinaves comptabilisaient moins de décès supplémentaires pendant la période hivernale, pourtant plus rigoureuse. L’étude américaine de 2010 évoque plusieurs hypothèses : le stress lié aux fêtes de fin d’année, le report des consultations médicales pour éviter de gâcher la fête, ou encore les problèmes de prise en charge à l’hôpital, en sous-effectif pendant la trêve des confiseurs. Se suicide-t-on plus en janvier ? On l’ignore, l’Observatoire national du suicide ne fournissant pas de données mois par mois. On sait tout de même depuis l’ouvrage de Durkheim, paru en 1897, que la fréquence des suicides est soumise à des variations saisonnières, et que le début de l’année, période de transition par excellence, pourrait être plus propice au suicide, sans qu’on en ait la preuve formelle.

Comments are closed.
Previous Post :
Next Post :
© La vie en rose Proudly Powered by WordPress. Theme Untitled I Designed by Ruby Entries (RSS) and Comments (RSS).