Enfin, presque

Archive for janvier, 2018

Dernièrement, j’ai assisté à un meeting à Madrid, pendant lequel nous avons longuement débattu de l’évolution du Moyen-Orient à moyen terme. C’est un sujet qui revient évidemment souvent, car les pays arabes peuvent autant devenir un éden économique qu’un sérieux problème pour les investisseurs. Il est donc indispensable d’étudier attentivement le terrain avant de se lancer inconsidérément. Ce qui est clairement ressorti des débats, c’est que d’ici quelques années, les risques d’antagonismes internes seront plus élevés dans cette région du monde qu’on ne l’admet souvent. Une partie des pays va bien sûr devenir plus calme, plus sûre, et ressembler à d’autres parties du monde, mais d’autres zones resteront encore des foyers d’incendie en devenir. Le mélange d’économies chaque jour plus ouvertes et de pouvoirs souvent liberticides est en fait le parfait cocktail pour qu’explosent des conflits entre les États de la région. Vers 2025 par exemple, l’Iran aura soit affermi soit délaissé son projet d’arme nucléaire. Mais il ne faut pas se leurrer pour autant : si le pays opte pour le second choix, c’est tout simplement parce que les acteurs locaux auront trouvé une autre façon de garantir leur sécurité. Le terrorisme ne sera pas non plus en reste, à cette époque. Bien que la fascination que peut exercer Daech soit destinée à s’atrophier au fil des années, des groupuscules vont continuer d’oeuvrer, voire même naître des cendres de Daech. De plus, même si l’Iran abandonne finalement le nucléaire, rien ne dit que les autres pays en feront autant. Certains États du Moyen-Orient aspirent en effet déjà depuis un moment à obtenir la technologie nécessaire pour avoir l’arme nucléaire. Dans les vingt ans à venir, plusieurs acteurs clefs de la région ont donc des chances d’accélérer leurs efforts pour s’approprier l’arme nucléaire, en opposition aux initiatives iraniennes envers le nucléaire. Cet emballement ajoutera une dimension nouvelle et menaçante à la lutte pour l’influence dans la région. Evidemment, les pays extérieurs à la région entreront eux aussi en course, et ce afin de conserver leur accès aux sources d’énergie, et pour céder des armements de pointe en échange d’accords énergétiques. Bref, quoiqu’il arrive, tensions, terrorisme et nucléaire ne risquent pas de disparaître de la région avant un long moment. J’ai décidément bien aimé ce meeting à Madrid. Une fois n’est pas coutume, le débat était à la fois cohérent et carré. Et l’organisation était à l’avenant, histoire de ne rien gâcher. D’ailleurs, je vous mets en lien l’agence qui l’a mis en oeuvre : j’ai vraiment apprécié leur profesionnalisme. Encore plus d’information sur l’organisation de séminaire à Madrid en allant sur le site web de l’organisateur.

En ces temps troublés, la pensée sociale s’est trouvée dans une sorte de vide historique. La question cruciale qui se pose à nous aujourd’hui est : comment organiser théoriquement le matériau empirique très riche, comment articuler les présupposés théoriques du développement historique actuel à un méta-niveau ? Est-il possible que la théorie sociale, qui, dans l’espace ex-yougoslave, avait atteint une certaine pertinence dans sa critique du « socialisme réel », surmonte son insuffisance en hypothèses théoriques nouvelles et offre un ensemble adéquat d’outils heuristiques et herméneutiques pour comprendre la tragédie de l’époque ? Janko Pleterski, un écrivain slovène, parle des « six peuples yougoslaves » dont quatre partagent la même langue et deux ont leurs propres langues. La langage partagée par ces quatre peuples yougoslaves (avec de légères variations dans l’expression linguistique) – les Croates, les Serbes, les Musulmans/Bosniaques et les Monténégrins – était, heureusement ou non, appelée serbo-croate ou croato-serbe. Mais le fait d’avoir un langage commun n’a pourtant pas facilité la compréhension mutuelle de ces peuples ethniquement apparentés. D’un moyen de communication entre les gens, la langue est devenue de plus en plus un symbole de la lutte en faveur d’États-nations. Elle a été transformée en instrument de propagande de guerre et en ferment de haine destructrice. Au cours de la « troisième guerre balkanique » de ce siècle, en même temps qu’ont été anéanties toutes les institutions communes de l’État yougoslave, une langue a été tuée : le serbo-croate ou le croato-serbe. Ce meurtre a été commis délibérément et a servi exclusivement des objectifs politiques. Chacune des parties en conflit lui a apporté sa contribution particulière. En l’exécutant, les parties en guerre ont facilement trouvé un langage commun. De sorte que le serbo-croate avec toutes ses nuances, en tant que langue commune de plusieurs peuples yougoslaves, a rejoint les langues « mortes », comme le grec ancien, le latin ou l’ancien slave. Les citoyens des nouveaux États ex-yougoslaves peuvent être satisfaits : ils parlent une langue morte et sont devenus polyglottes, puisqu’ils peuvent communiquer simplement et facilement en quatre langues, le serbe, le croate, le bosniaque et le monténégrin. De toute évidence, l’affaire n’a pas porté que sur le nom. Dans le processus de transformation du totalitarisme titiste yougoslave en totalitarismes chauvins des États nouvellement formés, la revendication d’une langue nationale distincte a occupé une place spécifique et a été extrêmement féroce. Les linguistes, et pas seulement eux, y ont excellé particulièrement. Très peu de personnes, comme Dubravko Skiljan à Zagreb ou Ranko Bugarski et Ljubisa Rajic à Belgrade, ont réussi à résister à l’appel des « trompettes de Jéricho ». Comme le remarque justement Ljubisa Rajic, d’un moyen de communication, la langue est devenue un moyen d’identification nationale, puis un symbole de la nation et enfin un moyen de sécession. Dans les pays de l’ex-Yougoslavie des années 1990, l’expression biblique « au commencement était le verbe » (Jean, 1.1) est devenue : « Certains d’entre nous frappent comme s’ils étaient des couteaux, et certains couteaux comme s’ils étaient des mots ». Autrement dit, les Serbes et les Croates ont réglé leur différend en prononçant le nom « John » – Jovan/Ivan – à l’aide d’une balle. Le nom national de la langue a été construit pour fonder l’État-nation, et la langue elle-même a été utilisée pour la propagande de guerre et la production de la haine. Certains écrivains étrangers ont également constaté que : « La majeure partie de l’intelligentsia yougoslave a montré que la fabrication de la haine et la préparation de la guerre civile sont aujourd’hui encore parmi les principales œuvres des créateurs culturels. »

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